Travailler avec une EB

Le travail, c’est la santé ? Et le travail avec une EB alors ?

Travailler avec une maladie, un handicap semble de prime abord ne pas être un acte simple. Si en 2020, de plus en plus de personnes handicapées sont parvenues à trouver un emploi, le chemin à parcourir reste long. Le taux de chômage des travailleurs handicapés est supérieur à la moyenne : presque deux fois supérieur à celui des personnes valides. Et ce, alors que la loi fixe à toute entreprise de plus de vingt salariés, une obligation de 6 % de l’effectif, sinon une contribution financière doit être versée à l’Agefiph. Cette taxe est-elle persuasive ? Les mentalités sont-elles trop lentes à évoluer ?

Au-delà de ces généralités, il y a les parcours individuels et, personnellement, je fais partie intégrante de ces chiffres. Atteinte d’une EBDR, j’occupe une fonction depuis 30 ans.

Avec des hauts, des bas, beaucoup de hauts. Mon chemin professionnel peut rassurer les parents, ou les futurs demandeurs d’emploi. En voici les grandes lignes.

Avant même d’accéder au monde du travail, se pose la question des études. Trouver une voie à la fois compatible avec les contraintes des EB et néanmoins dans une branche d’activités qui reste porteuse.

  1. Les études avec l’EB

Atteinte d’un EBDR modérée à cette époque, aller jusqu’au Bac ne m’a pas posé de problèmes particuliers. Les emplois du temps réguliers, les vacances qui ponctuent périodiquement les années scolaires, sont autant de points qui sont compatibles avec la maladie. En revanche, j’ai eu la très mauvaise idée de me diriger ensuite vers la fac. Mauvaise idée en raison des irrégularités des emplois du temps, des rythmes fastidieux et surtout des amphithéâtres surchargés qui génèrent des bousculades violentes. J’ai été obligée d’abandonner ce choix pour des raisons physiques. Il y a sûrement des moyens maintenant d’aménagements divers, afin que les études en fac ne soient pas rédhibitoires aux personnes malades.

À la suite de cette mauvaise expérience, je me suis alors tournée vers un BTS, dont le rythme et l’organisation sont très proches de ceux du lycée et qui me semblait donc approprié. Le choix de la filière en revanche s’est fait exclusivement par rapport à l’EB. Il s’agissait d’un BTS en comptabilité et gestion et sincèrement à cette époque, ces domaines me semblaient rébarbatifs. Comme pour le Bac, je n’ai pas rencontré de soucis de santé particuliers pendant les deux années nécessaires au BTS, peut-être un peu plus de fatigue. L’avantage de ce type d’études est qu’il intègre un stage en entreprise obligatoire de plusieurs semaines, qui n’engage en rien l’ecantreprise mais qui nous permet de nous faire une idée de notre potentielle intégration dans le monde du travail. J’avais un petit frère atteint de la forme grave de l’EBDR et qui est parvenu à obtenir un DUT en informatique. On pourrait en déduire deux choses positives : les filières informatiques et comptables ainsi que les BAC+2 sont atteignables, même avec une forme grave d’EB.

BTS en poche, je me retrouvais alors face un dilemme : soit me retrouver sur le marché de l’emploi et donc faire face à toutes les angoisses accentuées par le fait d’être malade, qui plus est, une maladie visible, ou poursuivre mes études. Ce second choix n’étant guère plus serein, pour plusieurs raisons : une masse de travail inévitablement plus importante (vais-je tenir la distance ?) et surtout, cela impliquait de débarquer sur le marché du travail avec un diplôme en corrélation avec des postes d’encadrement, donc à responsabilités, à fort engagement, donc stress et puis des postes où l’on est inévitablement très visible.

J’ai opté pour le second choix. Les écoles de commerce permettent à des BAC+2 d’y accéder en concours parallèle, ce qui évite l’obligation des prépas avec leur rythme de dingue. Concours réussi, me voilà embarquée pour deux années dans une école de commerce optant pour la filière finances. J’y ai touché du doigt les limites par rapport à la maladie. Comme prévu, le rythme a été soutenu, tant par l’emploi du temps que par la quantité de travail personnel. J’y ai connu des périodes de fatigue intense, d’infections, de problèmes digestifs. Néanmoins, j’ai été portée par l’atmosphère sympathique de l’école et l’entraide entre étudiants. Finalement, je garde de ces deux années, les souvenirs les plus conviviaux de ma vie d’étudiante.

  1. Le marché du travail et l’EB

Le Graal !

L’inaccessible !

L’anxiété à son comble.

Cette question tellement légitime : Quelle entreprise va vouloir m’accepter avec une maladie aussi stigmatisante que l’EB ? Alexandre Jollien que l’on voit actuellement beaucoup dans les médias pour la sortie de son film, déclarait lors d’une de ses promotions, avec son langage imagé : « Quand on a un handicap visible, on a l’impression d’avoir un bout de merde sur le front ». Il n’y a rien à ajouter.

Alors me voilà sur ce satané marché du travail, avec ma crotte sur le visage, des mains dignes des plus beaux chefs-d’œuvre du MoMA, et accessoirement ma personnalité et mon diplôme tout neuf !

Je postulais en priorité à des emplois de contrôleur de gestion. J’avais donc répondu à des annonces, je m’étais aussi inscrite dans des agences d’intérimaires. En répondant à ce type d’annonces, je suis aussi passée par la case des cabinets de recrutement que j’appréhendais particulièrement car réputés pour déstabiliser et détecter les points faibles. J’avais décidé de ne pas parler de ma maladie et de ne pas postuler en tant que travailleur handicapé. Cette décision est plus que discutable. Je pense, avec 30 ans d’expérience, que les employeurs apprécient la transparence et sont plus à même de comprendre éventuellement des absences ou des contraintes, si cela venait à se produire. Il faut savoir qu’il n’y a aucune obligation à parler de sa santé, ni sur un CV, ni lors d’un entretien… L’inscrire sur un CV ne me semble pas être une bonne idée. Par ailleurs, la reconnaissance de travailleur handicapé permet d’effectuer des aménagements matériels et aussi des aménagements dans la fonction si le besoin se faisait sentir avec l’évolution de la maladie.

Je voudrais juste sortir du cadre de l’EB et évoquer un autre témoignage d’une personne qui m’est proche : lors d’un recrutement pour un poste d’expert-comptable, parmi les candidats, s’est présentée une personne atteinte d’hémiplégie et ou bout une heure d’entretien et après avoir pu montrer sa personnalité, sa détermination et son cursus, elle a demandé à son recruteur s’il était gêné par son handicap, ce qui a permis aux deux protagonistes de discuter des contraintes de ce handicap par rapport au poste en toute simplicité et transparence. C’est elle qui a décroché le poste !

Chacun fait selon son propre ressenti.

L’anxiété a été au niveau de la facilité à décrocher un emploi. Je souhaiterais vraiment être rassurante sur ce point et pourtant l’économie était tendue. En deux mois, j’avais trouvé deux postes de contrôleur de gestion dans l’industrie. À aucun moment, il n’a été question de ma santé. J’avais mis ma tenue de combat : soin particulier sur l’apparence ! J’avais aussi beaucoup misé sur ma personnalité et sur les différents stages effectués lors de mes études.

  1. Le travail, c’est la santé ?

Décembre : je fais mes premiers pas dans le monde du travail en tant que contrôleur de gestion dans une multinationale américaine connue. Lors de la signature du contrat, la question de la reconnaissance de travailleur handicapée a été soulevée. J’ai répondu que je ne le souhaitais pas. Il n’y a pas eu d’insistance sur ce point.

Je me prenais de plein face toutes les questions terriblement anxiogènes qui tournaient en boucle depuis longtemps : Vais-je être intégrée ? Vais-je réussir à m’imposer en tant que cadre ? L’EB ne va-t-elle pas être un frein par rapport au rythme professionnel ? Ne vais-je pas être mise de côté comme une pestiférée ? Ne vais-je pas subir la présomption d’incompétence (préjugé à vomir que l’on peut subir quand on est malade) ? …

Tout s’est déroulé avec une facilité déconcertante. Pas de soucis d’intégration. Peu de questions sur mes mains. Pas de remise en cause de ma crédibilité non plus. J’ai pu effectuer les différentes missions qui m’incombaient comme n’importe qui.

Le travail comporte une multitude d’effets bénéfiques, effets exacerbés quand on est malade. Par exemple, les interactions sociales sont primordiales, le sentiment d’être utile, l’autonomie financière, une vie rythmée, un sentiment d’inclusion dans la société… Pour nous, un beau pied nez à notre maladie ! Pour moi, le travail est le SEUL endroit où j’oublie l’EB. Sur 30 ans de carrière, il y a eu inéluctablement des périodes de fortes poussées incluant fatigue et douleurs et pourtant, à partir du moment où je mettais les pieds dans mon entreprise, après quelques bonjours sympathiques des collègues, quelques petits potins à la machine à café (il n’y a pas que dans Caméra-Café que ça existe !)… les douleurs et la sensation d’être malade passaient aux oubliettes. Le travail a entre autres vertus, celle d’être thérapeutique. Ainsi, pour faire une métaphore 100 % EB, pour moi travailler revient à m’entourer physiquement et psychiquement d’un Mépilex géant. J’y ai aussi trouvé un vivier d’amis fidèles. Et finalement, un intérêt pour la finance. Le fait d’être tous dans le même bateau avec des stratégies et des objectifs communs est passionnant. Enfin, j’y ai trouvé des collègues, voire des managers empreints d’empathie et d’humanité.

On ne va pas se mentir, il n’y a pas que des points positifs.

Le stress, point délétère envers notre maladie, surtout quand il est intense et sur une longue période. On n’est pas tous obligés de travailler dans une boite américaine ! Les absences : intrinsèquement, l’EBDR évolue, ainsi au fil des années, j’ai vu mon taux d’absentéisme augmenter, entrainant pas mal de culpabilité vis-à-vis de mes collègues et de mon employeur.

J’ai passé les 17 premières années avec un contrat de travail à 100 % (je dirai 120 % factuellement !) et puis, à la suite d’évènements compliqués dans ma vie privée, l’EB a explosé et j’ai dû passer en invalidité de 1ère catégorie, renégocier mon 100 % en un temps partiel à 50 % et me déclarer en tant que travailleur handicapé. Ces points sont des possibilités offertes par la loi française. Ça a été pour moi une terrible épreuve car je m’étais tant battue pour être juste une salariée comme une autre et être reconnue par et pour ma fonction, et rendre quelque part invisible cette maladie stigmatisante. Évidemment, cette nouvelle organisation était tellement plus logique. Cela n’a rien changé sur l’ensemble des points mentionnés ci-dessus (intégration, crédibilité…).  Cela a permis de pérenniser ma vie professionnelle tout en m’accordant de longues périodes de repos devenues indispensables.

Le COVID : mars 2020, le télétravail devient la norme. Une fonction comme la mienne est parfaitement compatible avec ce mode d’organisation. J’ai ainsi fait partie des personnes cloisonnées chez elle dans la douleur. Au fur et à mesure des évolutions de la pandémie, ma semaine s’est répartie en une journée en présentiel et le complément en télétravail. Et finalement, je me demande si ce n’est pas le mode d’aménagement optimum par rapport à l’EB. On conserve les interactions sociales, notre emploi aussi. Moins de matins à se lever aux aurores pour décoller ses pansements, prendre sa douche, refaire ses pansements, ce qui prend une éternité et est éreintant. Des repas pris à la maison, donc en adéquation avec les soucis digestifs…

Le travail, c’est la santé ? Oui ! Mille fois oui. Même si je pense qu’il faut savoir s’écouter et ne pas dépasser ses limites. De toute façon, la maladie est là pour se rappeler à notre bon souvenir et nous recadrer. Il y a quelques contraintes à travailler avec une EBDR, mais tellement de points positifs que la balance penche sans aucune hésitation du côté du travail. Une pointe de motivation, d’opiniâtreté, d’intérêt pour ce que l’on fait et hop on y va !

Cela fait trois décennies que je me bats pour continuer à travailler car je considère que ce n’est pas une contrainte mais au contraire un vrai plaisir.

Le marché du travail est ouvert à tous. Je n’ai fait que passer succinctement sur les aides concernant l’insertion des travailleurs handicapés. Au sein de l’Agefiph, par exemple, des conseillers Cap-emploi peuvent accompagner et orienter. Les entreprises peuvent, quant à elles, bénéficier d’aides financières. Les mentalités évoluent.

Alors, à vos CV !

Marie Backer

La vie avec une EB ne se résume pas à la maladie. Marie nous en apporte une magnifique preuve… Vous avez, vous aussi, une expérience professionnelle que vous aimeriez partager ? Adressez-nous vos témoignages ! contact@debra.fr

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