Est-ce qu’il sera comme toi ?

L’équipe DEBRA France est allée interviewer Anaïs, 29 ans, atteinte d’épidermolyse bulleuse. Elle vit à Toulon et a accouché le 12 septembre dernier à l’hôpital de la Conception à Marseille.

Peux-tu nous parler de ta forme d’EB ?

Je suis atteinte de la forme dystrophique de la maladie, la plus sévère. J’ai les doigts de la main totalement rétractés et des plaies chroniques sur le corps, et d’autres qui apparaissent suite à « un choc » ou spontanément. 

Peux-tu nous parler des obstacles que la pathologie a mis sur ta route ?

Il y en a tellement ! et dans divers domaines. Mais pour moi, le plus gros reste celui du regard de l’autre. Ce regard qui nous scrute dans les moindres détails. Je l’ai ressenti surtout au niveau professionnel, quand j’ai dû trouver mon 1er job après mes études. À chaque entretien, c’était un interrogatoire, où je devais justifier de mes capacités et que oui, malgré les apparences, je suis compétente ! Et ça a fini par payer au bout de 6 mois, j’ai décroché un CDD d’un an et demi en tant que formatrice et conseillère à l’emploi. En fait, il faut réussir à rassurer l’employeur. 

En jetant un regard en arrière, peux-tu nous parler des faiblesses qui étaient les tiennes ? De la même manière, peux-tu nous parler de tes désirs (par exemple au cours de l’adolescence, ou de la période de ton choix) ?

Mon manque de confiance en moi, sans hésiter ! J’étais très renfermée, on remarquait à peine ma présence, je n’osais pas me montrer ni parler ou donner mon avis sur un sujet de discussion et encore moins que l’on puisse voir les pansements, que je prenais soin de cacher !
A contrario je rêvais d’être diamétralement opposée à celle que j’étais et d’OSER !

Es-tu parvenue à ce changement ? Comment ? 

Je n’y suis pas encore à 100 %, mais j’ai évolué c’est certain et grâce à une rencontre, celle de Jonathan. Il était atteint de la même forme de la maladie. Je suis tombée sur lui sur les réseaux sociaux à travers une vidéo où il se mettait en scène en racontant son histoire avec beaucoup d’humour et de poigne. J’étais bluffée par la confiance qu’il dégageait et je suis entrée en contact avec lui en lui demandant comment il faisait. De là, nous avons eu une longue discussion où il m’a parlé de son état d’esprit et le fait d’arriver à bien vivre avec ce handicap. Je me suis dit « si lui il y arrive, alors je peux sans doute y arriver ».
Évidemment, cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, c’est un long chemin mais il faut l’emprunter, ce que j’ai pu faire grâce à lui.

Qu’est-ce qui t’a décidée à continuer d’aller de l’avant malgré les obstacles ?
Selon toi, quelles ont été tes premières victoires face à l’EB ?

L’épidermolyse bulleuse est une maladie qui met vraiment à l’épreuve et tous les jours. Ça a développé chez moi une force de caractère qui fait que je veux aller toujours plus loin. Même si mes proches diraient que j’ai un caractère de cochon et que lorsque j’ai une idée dans la tête je ne l’ai pas ailleurs ! 😉
Mais c’est sans doute ce qui m’a permis d’en être là où j’en suis aujourd’hui. 

Mes victoires sont celles où on me disait que je n’y arriverais pas et où j’y suis parvenue, comme une revanche sur la vie (permis, concours, études, grossesse…). 

Comment as-tu rencontré ton compagnon ?
Comment dirais-tu qu’il a réagi face à ta maladie ?

Il était difficile pour moi de faire des rencontres, l’apparence compte beaucoup dans les relations amoureuses. Alors je me suis inscrite sur un site de rencontre et nous nous sommes rencontrés. J’ai attendu de faire plus connaissance avant de lui parler de la maladie : c’est tellement peu connu que je crois que l’on ne peut jamais se rendre compte !
Je pense que pour lui la maladie n’était pas un problème en soit, mais c’était plus « d’accepter » le regard que l’on pouvait porter sur notre histoire qui l’était.
Nous nous sommes fréquentés un long moment avant d’officialiser ce statut de couple.

Et aujourd’hui vous êtes parents ! Quelles ont été les réactions de vos proches à l’annonce de la grossesse ? 

Tout le monde était ravi et à la fois surpris !
D’ailleurs une question/remarque, d’un air un peu embarrassé, venait systématiquement après les félicitations : Est-ce qu’il sera comme toi ?
Alors au début je répondais naturellement, mais au fil des annonces cette question m’agaçait.
Dans le fond, être comme moi, qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce qu’il sera fort, courageux, tolérant, drôle, attachant ? Dans ce cas-là la réponse est OUI, il sera comme moi ! 😉
Cette remarque m’a vraiment déroutée et c’est ce que j’aurais dû répondre. Après tout, je ne suis pas qu’un physique..

Suite à l’annonce de ta grossesse, comment vous êtes-vous préparés à l’accouchement ?

Mon conjoint est de nature optimiste, alors il était assez serein. Mais moi j’étais de plus en plus anxieuse à l’idée d’accoucher, même sans parler de la maladie cela me faisait très peur.
J’ai pu échanger avec des femmes ayant une EB qui ont vécu cette expérience. Mais nous sommes tellement toutes différentes que l’atteinte de la peau n’est pas la même, donc ça ne me rassurait qu’à moitié.
Pour mon suivi, j’ai été prise en charge par l’hôpital de la Conception à Marseille, c’est à 1h de chez moi. Je craignais que le bébé arrive plus tôt que prévu et de ne pas pouvoir être transférée à temps. Surtout qu’avec le Pr Bretelle qui m’a suivie, nous avions convenu d’une césarienne programmée.

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Malgré cette préparation, as-tu vécu des moments où tes peurs et tes angoisses reprenaient le dessus ? Par moment, as-tu pensé ne pas y arriver ? Comment les as-tu gérés ?
Comment s’est passé l’accouchement ?

Oh oui ! Bien trop même ! J’ai été très anxieuse pendant la grossesse et d’autant plus à la fin. Même si j’étais très bien prise en charge à Marseille et que le Pr Bretelle était optimiste et rassurante, je ne pouvais m’empêcher de penser au pire. J’ai tellement eu de mauvaises expériences par le passé et qui m’ont laissé un traumatisme physique ou psychique, que c’était très difficile de me raisonner.
J’ai pu échanger avec la psychologue de l’équipe, qui était très à l’écoute et qui a fait le relai avec l’équipe médicale sur mes angoisses, et j’ai vraiment été écoutée. 

J’ai accouché le 12 septembre, je n’en menais pas large au bloc car en plus j’ai mal toléré l’anesthésie. Mais mon amie d’enfance était présente au bloc puisqu’elle est médecin maintenant, le Dr Gras, elle arrivait à trouver les mots et à m’apaiser un peu. Tout s’est très bien passé et sans séquelles pour ma peau. Je ne sais pas comment ils y sont parvenus, ils ont fait un travail remarquable. Je n’ai jamais été aussi bien prise en charge, avec une équipe si bienveillante que ce soit de l’infirmier au chirurgien. De plus la dermatologue, Dr Mallet, et son infirmière sont venues spécialement de l’hôpital de la Timone pour assister à la césarienne.
Une véritable coordination entre les différents médecins et hôpitaux a été faite. Notamment avec le Dr Bourrat et Rose qui sont entrées en contact avec chaque professionnel, pour transmettre tous les protocoles. Elles sont restées très disponibles.

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Et maintenant, comment se passe le quotidien dans cette nouvelle vie à trois ? 

Devenir parent, ça chamboule, j’ai encore du mal à me dire que je suis maman. Le quotidien est assez difficile de manière générale avec un nouveau-né, mais il l’est d’autant plus avec la maladie qui me confronte à mes difficultés. Il y a certaines choses que je ne peux pas faire seule et malheureusement mon conjoint n’est présent que les week-ends car il a une mutation professionnelle à Lyon. Nous avons tenté un recours avec une organisation syndicale (CGT), et le Dr Bourrat avait également appuyé la demande avec un courrier expliquant les difficultés liées à l’EB. La demande a été rejetée et le seul motif retenu est que je ne suis pas en CDI… Je pense que la demande n’a pas été assez prise au sérieux et aujourd’hui cela a un impact considérable sur mon quotidien.

À travers toutes ces épreuves, que retiens-tu ?

Jamais je n’aurais pensé pouvoir mener une grossesse (et sans encombre) et encore moins donner la vie… Mais j’y suis arrivée et la force de caractère y est pour beaucoup je pense.

Quel sentiment cela te procure de tenir ton enfant dans tes bras ?

De la joie évidemment mais j’ai encore du mal à réaliser, même s’il est bien là !! Quand je le regarde et que je vois son petit corps sans plaie ni bulle, je me demande comment c’est possible.
À ce moment-là, je ressens de la fierté.

Quel conseil donnerais-tu à des jeunes femmes avec EB qui auraient des envies d’enfant ?

Je leur dirais que c’est possible. Mais avant tout, qu’il faut être bien entourée au niveau médical, pour être à l’aise de pouvoir parler des craintes et angoisses éventuelles. La clef, c’est de se sentir en confiance.
Maintenant que je l’ai vécu, je serais ravie de transmettre à mon tour mon expérience.

Y a-t-il des personnes que tu aimerais remercier ?

Je pense que je peux me remercier 😉
Mais je remercie surtout toute l’équipe qui m’a prise en charge car je ne le dirai jamais assez : ils ont été super et on sentait qu’ils avaient pris le temps de se renseigner sur la maladie et avaient mis un point d’honneur à ce que tout se déroule du mieux possible… et ils ont réussi. 

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